L’article 970 du Code civil dispose que « le testament olographe ne sera point valable s’il n’est écrit en entier, daté et signé de la main du testateur : il n’est assujetti à aucune autre forme ».
Un testament olographe est-il valable si le testateur ne comprend pas la langue dans laquelle il l’a écrit ? Suivant un arrêt rendu le 9 juin 2021 et publié au bulletin, la Cour de cassation a répondu, sans surprise, par la négative (Cass, Civ 1ère, 9 juin 2021, n° 19-21.770).
Dans cette affaire, un Allemand, qui résidait en France mais qui ne parlait pas français, avait rédigé en français un testament olographe, c’est-à-dire un acte entièrement écrit à la main, par lequel le testateur exprime ses dernières volontés « pour le temps où il n’existera plus » (Article 895 du Code civil). Le testament litigieux instituait la sœur du testateur en qualité de légataire universelle et précisait qu’en cas de présence d’héritier réservataire, cette dernière devait recevoir la quotité disponible des biens.
Le testateur est décédé en France.
Après des tentatives infructueuses de règlement amiable, la sœur a assigné les enfants du défunt en délivrance de son legs universel et en ouverture des opérations de comptes, liquidation et partage de la succession.
La cour d’appel saisie de l’affaire, constatant que le testament était écrit, daté et signé de la main du défunt, l’a déclaré valable (Cour d’appel de CHAMBÉRY, Chambre civile, 1ère section, 25 juin 2019, n° 17/02371).
La Cour de cassation a cassé l’arrêt d’appel pour violation de l’article 970 précité, au motif qu’ « il résultait de ses constatations que (le défunt) avait rédigé le testament dans une langue qu’il ne comprenait pas, de sorte que l’acte ne pouvait être considéré comme l’expression de sa volonté ».
Cette décision est l’occasion de rappeler les contours de l’exigence relative à l’écriture manuscrite du testament olographe. Seront ensuite examinés les recours à la disposition des testateurs non francophones pour leur permettre de formaliser leurs dernières volontés, en conformité avec le droit testamentaire français.
La validité d’un testament est soumise à des conditions de fond ainsi qu’à des conditions de forme.
D’un point de vue formel, un testament olographe est valable dès lors :
– Qu’il est écrit entièrement de la main du défunt ;
– Qu’il est daté de la main du défunt ;
– Qu’il est signé de la main du défunt.
C’est la condition de l’écriture manuscrite du défunt qu’il convient d’examiner ici, à la lumière de l’arrêt rendu le 9 juin dernier par la Cour de cassation : « écrire » un testament olographe, c’est le rédiger à la main mais c’est aussi le comprendre.
Le testateur doit écrire intégralement son testament olographe à la main : à défaut, le testament serait entaché de nullité sur le fondement de l’article 970 du Code civil (Cass, Civ 1ère, 20 septembre 2006, n° 04-20.614).
L’exigence de l’écriture manuscrite permet de s’assurer que l’auteur des dispositions de dernières volontés est bien le testateur lui-même et donc, d’éviter les falsifications. Ainsi, les testaments dactylographiés (par exemple : Cass, Civ. 1ère, 24 février 1998, n° 95-18.936) ou imprimés à l’aide d’une machine à écrire ou d’un ordinateur sont systématiquement annulés pour vice de forme, puisqu’ils ne permettent pas d’identifier leur auteur.
Cette exigence connaît toutefois un tempérament. En effet, lorsque le testateur n’est pas en mesure d’écrire lisiblement de manière autonome, par exemple en raison de son grand âge, d’un handicap ou d’une maladie, il lui est permis de recourir à l’assistance matérielle d’un tiers dans le cadre d’un testament « à main guidée ». La jurisprudence reconnaît la validité d’un tel testament, sous réserve qu’il respecte les deux conditions suivantes :
– Premièrement, l’écriture du testateur doit être reconnaissable : le tiers ne peut en aucun cas écrire à la place du testateur, auquel cas le testament olographe serait nul (Cass, Civ 1ère, 25 mai 2004, n° 01-00.889) ;
– Deuxièmement, le testateur doit avoir exprimé sa propre volonté et non la volonté de celui ou celle qui l’assiste.
En cas de doute sur l’intégrité de l’écriture du testament olographe, que ce doute porte sur l’authenticité de l’écriture ou sur une suspicion d’écriture « à main forcée », toute personne qui dispose d’un intérêt à agir (par exemple, un héritier, le conjoint survivant ou un légataire) peut engager une procédure en vérification d’écriture. Si un rapport d’expertise graphologique établit que le testament contesté n’a pas été entièrement écrit de la main du testateur, il sera annulé.
Hormis cette exigence relative à l’écriture manuscrite du défunt, les juges laissent une très grande liberté aux testateurs quant au choix :
– Du support de l’écriture : Ont été déclarées valables des dispositions testamentaires écrites sur une carte postale (Cass, Civ, 24 juin 1952) ou sur le dos de polices d’assurance (Cass, Civ, 6 mai 1891) ;
– De l’instrument utilisé pour écrire le testament : Le testament écrit au crayon de papier a été jugé valable (CA AIX-EN-PROVENCE, 27 janvier 1846) ;
– Ou du style d’écriture utilisé.
À la lecture de l’arrêt rendu le 9 juin 2021 par la Cour de cassation, il apparaît que le terme « écrire », au sens de l’article 970 du Code civil, ne fait pas seulement référence à l’action qui consiste à tracer à la main une succession de caractères : c’est aussi comprendre le sens du testament olographe.
Par conséquent, la condition relative à l’écriture manuscrite du testament olographe est duelle. Elle ne sera satisfaite :
– D’un point de vue matériel, que si le testateur a écrit son testament à la main ;
– Et, d’un point de vue intellectuel, que si le testateur a compris ce qu’il a écrit.
Dans l’affaire susmentionnée, le testateur allemand avait laissé un testament olographe écrit, daté et signé de sa main. Si la condition matérielle était bien satisfaite, la condition intellectuelle faisait défaut. En effet, le testateur, dont il n’était pas contesté par les parties qu’il ne maîtrisait pas le français, ne pouvait pas avoir compris le sens de ce qu’il avait écrit dans son testament olographe. Cet acte ne reflétait donc pas l’expression de sa volonté, raison pour laquelle il encourrait la nullité.
Il convient de préciser qu’une traduction allemande du testament, datée du même jour et qui n’émanait pas de la main du défunt, avait été présentée au testateur pour lui permettre de comprendre le sens du testament rédigé en français. Or, le testament en français et sa traduction en allemand avaient une signification très proche, ce sur quoi s’est d’ailleurs appuyée la cour d’appel pour valider le testament. Pour la Cour de cassation, cette traduction n’était cependant pas de nature à sauver le testament olographe.
La position dégagée par la Cour de cassation dans l’arrêt susmentionné n’est pas nouvelle.
En pratique, le testateur allemand avait certainement dû rédiger son testament en recopiant un modèle pré-rédigé par un tiers en français.
Or, la jurisprudence a déjà annulé, sur le fondement de l’article 970 du Code civil, des testaments olographes rédigés à partir de modèles lorsque leur auteur était illettré ou lorsqu’il avait des capacités intellectuelles limitées. Dans ces deux hypothèses, il a été jugé que le testament olographe ne pouvait pas résulter d’une volonté propre et intègre des testateurs, ces derniers n’étant pas en mesure de saisir la portée du contenu de leur testament.
En l’occurrence, dans l’affaire susmentionnée, le testateur allemand aurait très bien pu écrire son testament olographe en allemand ou recourir à la forme authentique.
Il aurait également pu rédiger un testament international mais aurait certainement été confronté à des difficultés pratiques, raison pour laquelle cette forme testamentaire ne sera pas abordée.
L’article 970 du Code civil ne prévoit pas que le testament olographe doit être rédigé en français.
Par conséquent, un étranger qui ne comprend pas le français peut valablement écrire son testament olographe dans sa langue nationale ou dans toute autre langue qu’il maîtrise, sans même devoir y annexer une traduction en français.
Le notaire en charge de la succession du testateur, s’il ne comprend pas la langue dans laquelle a été rédigé le testament, fera alors appel à un traducteur assermenté.
Un testateur qui ne peut pas s’exprimer en langue française peut également décider de recourir au testament authentique, encore appelé testament par acte public, qui est un testament reçu soit par deux notaires, soit par un notaire et deux témoins (Article 971 du Code civil).
Dans ce cas, l’article 972 alinéa 4 du Code civil prévoit deux alternatives :
– Lorsque les deux notaires ou, le cas échéant, le notaire et les deux témoins comprennent la langue du testateur, le testament authentique peut être établi dans cette langue, sans recours à un interprète.
– Si tel n’est pas le cas, le recours aux services d’un interprète sera obligatoire.
Le testateur pourra choisir son interprète sur la liste nationale des experts judiciaires dressée par la Cour de cassation ou sur la liste des experts judiciaires dressée par chaque cour d’appel.
En conclusion, les testateurs non-francophones veilleront à rédiger leur testament olographe dans leur langue maternelle ou dans toute autre langue qu’ils comprennent, sous peine de nullité du testament.