REGARDS CROISÉS est une série d’articles en 4 dimensions sur le monde du travail, qui vous fait voyager dans des situations concrètes de la vie en entreprise. Une vision à 360° pour vous aider à prendre du recul et trouver des solutions constructives pour tous !
ÉPISODE 4 – LES MODALITÉS DE MISE EN PLACE DU DROIT À LA DÉCONNEXION
La situation de Charlie, le collaborateur :
« Dominique, ma manager, m’a informé vouloir faire un point en visioconférence sur ma charge de travail et sur mon organisation bureau/télétravail. En ce moment, je ne gère que des urgences. Les systèmes de prise de décision et de circulation des informations fonctionnent mal. Du coup, je perds beaucoup de temps et suis complètement débordé. Au point que, parfois, il m’arrive d’oublier de manger ou de perdre la notion du temps. Dominique a dû s’en rendre compte ».
La situation de Dominique, la manager :
« Il faut absolument que je fasse un point avec Charlie. J’avais noté, il y a quelques semaines, une baisse de motivation, une sorte d’essoufflement. Depuis le dé-confinement, Charlie est retourné au bureau 1,5 jour par semaine, à sa demande, dans le respect des règles sanitaires. Néanmoins, je m’aperçois qu’il m’envoie des mails très tôt ou très tard, principalement les jours où il télétravaille. Nous sommes tous très sollicités en ce moment et il faut être vigilant à garder un bon équilibre pour ne pas s’épuiser. Je vais demander à Andréa, le RH, comment cela se passe dans les autres équipes et s’il peut me donner quelques conseils ».
Le regard d’Andréa, le RH :
« Effectivement, les indicateurs mis en place dans l’entreprise et les retours d’expérience des collaborateurs révèlent une augmentation très significative du nombre de mails et une difficulté croissante à différencier le temps consacré à la vie privée et le temps dédié au travail, menant à un risque d’épuisement professionnel.
Pour y remédier, nous avons réfléchi à notre organisation du point de vue d’une connexion raisonnée et d’un collectif de travail solidaire. Nous avons donc choisi d’agir sur 4 leviers principaux, en veillant à trouver le juste équilibre entre faire respecter le droit à la déconnexion et respecter l’autonomie du collaborateur.
LEVIER N° 1 : L’ENGAGEMENT, L’EXEMPLARITÉ ET LA FORMATION DU MANAGEMENT
D’expérience, la clé de réussite des dispositifs de déconnexion réside dans le soutien d’un top management, convaincu de l’importance d’une connexion raisonnée pour la santé, mais aussi pour la créativité et l’efficacité individuelle et collective.
Nous avons donc choisi de former tous les managers, en commençant par le top management.
Nous nous sommes appuyés sur les apports en neurosciences qui clarifient les bénéfices de la déconnexion sur nos capacités cognitives et émotionnelles et illustrent les risques d’une sur-sollicitation. Par exemple, des scientifiques montrent que notre cerveau est conçu pour fonctionner selon des cycles alternant dépense d’énergie et régénération. Pour être efficace, il a besoin d’alterner des périodes d’activité à haut niveau de concentration et des périodes de repos, pendant lesquelles il évacue les toxines nuisibles à son bon fonctionnement. Ces prises de conscience sont d’excellents moteurs d’évolution des pratiques.
Des rendez-vous managers sont régulièrement organisés pour partager entre pairs et maintenir la dynamique initiée dans les sessions de formation.
LEVIER N° 2 : LA FIXATION DE RÈGLES ET LE CONTRÔLE DE LEUR RESPECT
Bien travailler ensemble impose de respecter des règles communes en matière de connexion qui vont au-delà du respect du cadre règlementaire. Par exemple, nous avons organisé des « stands RH » virtuels pour expliquer notre accord sur le droit à la déconnexion et rappeler l’obligation collective de respecter les temps de repos. Ainsi, beaucoup de collaborateurs en forfait jours par exemple, ne savaient pas que la plage de 21H à 6H était une « plage gelée » de repos inconditionnel.
Nous avons également régulé les plages de réunions, diffusé les bonnes pratiques de mails et instauré des principes de retours d’expérience par équipe sur la circulation de l’information et la bonne utilisation des outils.
Tous les éléments mis en place sont mesurés et communiqués aux managers et à l’ensemble des collaborateurs en même temps que d’autres indicateurs tels que le taux d’utilisation des plateformes collaboratives et le volume de mails.
LEVIER N° 3 : L’ANALYSE ET LA RÉGULATION DES FLUX D’ACTIVITÉS ET, NOTAMMENT, DE LA CHARGE DE TRAVAIL
Afin de favoriser les retours d’expérience et les temps de respiration, chaque équipe formalise une fois par mois ce qui fonctionne bien, ce qui dysfonctionne et les actions à mettre en place.
Tous les collaborateurs et managers vont être formés à une méthode d’analyse factuelle du travail prescrit, du travail réellement accompli et de la charge ressentie par le collaborateur.
LEVIER N° 4 : LA PÉDAGOGIE ET LA SENSIBILISATION DE TOUS
Nous organisons régulièrement des forums d’échanges ou des conférences autour des bonnes pratiques du télétravail, du « bien travailler ensemble » et de l’hygiène de vie au travail. L’objectif est de parler de ces sujets pour faire évoluer notre culture et nos pratiques.
Dominique a eu un excellent réflexe en restant vigilant et en provoquant une discussion avec Charlie ».
Le regard de Camille, la juriste :
« Le droit à la déconnexion n’est pas défini dans le Code du travail. Toutefois, il peut être rattaché au droit au repos quotidien, prévu à l’article L.3131-1 : sauf exceptions ou en cas d’urgence, « tout salarié bénéficie d’un repos quotidien d’une durée minimale de onze heures consécutives ».
Afin d’assurer l’effectivité de ce droit au repos quotidien, et satisfaire ainsi son obligation de sécurité, l’employeur doit impérativement garantir au salarié le droit de ne pas être connecté à ses outils numériques professionnels en dehors de son temps de travail.
Le droit à la déconnexion concerne toutes les entreprises et doit, en principe, s’appliquer à tous les salariés – télétravailleurs ou non – y compris aux cadres dirigeants qui, s’ils ne sont pas soumis aux règles sur la durée de travail et en particulier à l’article L.3131-1 susmentionné, ont droit au respect de leur vie personnelle et familiale ainsi qu’à la protection de leur santé.
À défaut de définir précisément le droit à la déconnexion, le Code du travail détermine certaines modalités de sa mise en place en entreprise.
Dans les entreprises où sont constituées une ou plusieurs sections syndicales de syndicats représentatifs, les partenaires sociaux peuvent avoir négocié un accord qui détermine (notamment) les thèmes et la périodicité de la négociation obligatoire sur l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes et la qualité de vie au travail, laquelle doit se tenir au moins tous les quatre ans. Bien que la loi ne vise pas expressément le droit à la déconnexion parmi les thèmes de cette négociation obligatoire, les partenaires sociaux doivent l’y inclure.
À défaut d’un tel accord ou en cas de non-respect de cet accord, l’employeur est tenu d’engager chaque année une négociation sur l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes et la qualité de vie au travail.
Cette négociation doit obligatoirement porter, entre autres, sur « les modalités du plein exercice par le salarié de son droit à la déconnexion et la mise en place par l’entreprise de dispositifs de régulation de l’utilisation des outils numériques, en vue d’assurer le respect des temps de repos et de congé ainsi que de la vie personnelle et familiale » (article L.2242-17 7° du Code du travail).
À défaut d’accord à l’issue de cette négociation annuelle, l’employeur est tenu d’élaborer une charte, après avis du CSE (Comité Social et Économique). Cette charte doit 1°) définir les modalités du plein exercice par le salarié de son droit à la déconnexion et 2°) prévoir la mise en œuvre d’actions de formation et de sensibilisation à un usage raisonnable des outils numériques.
Dans les entreprises non dotées d’une section syndicale de syndicats représentatifs, l’employeur n’a pas d’obligation de négociation sur le droit à la déconnexion. Pour autant, rien ne lui interdit d’engager une négociation sur ce thème avec les représentants du personnel. À défaut de négociations ou si ces dernières échouent, l’employeur pourra élaborer une charte, après avis du CSE dans les entreprises entre 11 et 50 salariés, pour garantir l’effectivité du droit au repos quotidien et protéger la santé de ses salariés.
Dans toutes les entreprises, l’accord prévoyant la conclusion de conventions de forfait doit déterminer les modalités selon lesquelles le salarié peut exercer son droit à la déconnexion. À défaut, l’employeur doit définir ces modalités et les communiquer au salarié sous forfait jours par tous moyens ».
Le conseil Regards Croisés :
1°) Identifier les catégories de salariés particulièrement concernés par le risque de sur-connexion (salariés soumis à un forfait en jours, télétravailleurs, cadres…).
2°) Vérifier que ces catégories de salariés ont été identifiées dans le DUER et que des plans d’actions ont été prévus pour limiter les cas d’épuisement professionnel (burn out). À défaut, compléter le DUER.
3°) Auditer les pratiques internes (organisation du travail, management, comportements individuels) et identifier les modalités de travail adaptées (conditions de télétravail pérennes, présentiel utile, management adapté…).
4°) Privilégier la négociation collective pour mener des actions après analyse des pratiques internes (actions de formation et de sensibilisation à un usage raisonnable des outils numériques, prévention, rapprochement avec l’informatique pour étudier les moyens d’éviter les dérives…).
5°) Faire évoluer nos cultures, croyances et pratiques qui associent parfois trop radicalement temps de présence et niveau d’engagement.
À bientôt pour un prochain article,
Article rédigé par Emmanuelle FOULONNEAU (Cabinet EFFIBÉ) et Claire FAURÉ